
Serge Tisseur Enseignant de philosophie
J’ai 60 ans. Il n’y a pas d’âge pour sortir du placard. J’en sors avec un diplôme de baccalauréat (1975) et un diplôme de maîtrise (1992), tous les deux en philosophie. De plus, j’ai enseigné la philosophie au cégep de 1976 à 2011, année où j’ai pris ma retraite. Maintenant que je ne suis plus professeur de philosophie, j’aspire à devenir philosophe.
Au départ, c’est un peu par défaut que j’ai choisi de faire des études universitaires en philosophie. Je voulais étudier le droit, mais mes notes n’étaient pas assez fortes pour y être admis. On m’a alors conseillé de faire une première année d’université en histoire ou en philosophie et de faire une nouvelle demande d’admission en droit l’année suivante. Le temps venu, j’ai abandonné mon projet d’étudier le droit et j’ai pris la décision de terminer mon baccalauréat en philosophie.
Si ça vous fait plaisir de penser que c’était à cause de mes notes qui n’étaient pas assez fortes, alors pensez-le et je vous souhaite une heureuse vie. Quant à moi, je ne regrette aucunement mon choix, car il s’agit bien d’un choix. Les circonstances ne m’y ont pas contraint: elles m’ont simplement aidé et ce n’est qu’à moi-même que la décision revient.
Quoi qu’il en soit, c’est dans l’enseignement de la philosophie au cégep que j’ai fait carrière et j’en suis très heureux aujourd’hui. J’aurais pu faire autre chose qu’enseigner, car la philosophie sert à tout. Quelles sont les raisons qui m’ont motivé à choisir l’enseignement? La seule raison qui soit vraiment claire à mon esprit est l’influence qu’ont eue sur moi quelques professeurs du temps de mon cours secondaire. Ils ont été des modèles pour moi et j’ai toujours voulu faire la même chose qu’eux. Plusieurs d’entre eux m’ont d’ailleurs fortement inspiré pendant les années où j’ai enseigné. Je tiens à leur dire merci.
Pourquoi maintenant avoir choisi d’enseigner la philosophie? Il y a des circonstances historiques bien sûr, comme le fait que les cégeps étaient encore des institutions assez jeunes lorsque j’ai terminé mes études et qu’on y recrutait encore des professeurs de philosophie. En somme, c’était le temps d’en profiter et c’est ce que je fis.
Mais il y avait par-dessus tout cela un intérêt pour la philosophie elle-même et un désir profond d’en donner le goût à d’autres. Bien sûr, cela n’a pas toujours été facile. Pendant mes années d’études, j’ai rencontré bien des gens qui n’étaient pas convaincus de l’intérêt d’étudier des matières comme la philosophie. Il s’agissait pour eux beaucoup plus d’une culture personnelle que d’une compétence dont on pouvait faire profiter la société.
Pendant mes années d’enseignement aussi, des remarques de ce genre étaient monnaie courante autant chez les étudiants que chez mes collègues. Mais j’ai tenu bon et j’ignore pourquoi j’ai tenu bon. Certains penseront peut-être que j’ai voulu m’accrocher à ma sécurité d’emploi en attendant de prendre ma retraite. Qu’ils le pensent, si ça leur fait plaisir. L’essentiel est que j’ai tenu bon et que mon intérêt pour la philosophie demeure.
Aujourd’hui, je suis fier de la vie que j’ai vécue. Les bénéfices de la philosophie étaient loin d’être clairs lorsque j’étais étudiant. Je me souviens qu’à cette époque, on me disait souvent que la philosophie structure l’esprit. Une explication comme celle-là n’avait pas beaucoup d’effet sur moi, car j’étais à l’âge où on a plus conscience d’avoir un corps que d’avoir un esprit.
Avec le temps cependant j’ai fini par apprécier vraiment les bénéfices de la philosophie. Grâce à la lecture des grands philosophes, j’ai appris à mettre les choses en perspective et à faire la distinction entre ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas. J’ai appris aussi que mon pouvoir ne peut s’exercer que sur ce qui dépend de moi, c’est-à-dire mes façons de penser et d’agir.
Bien sûr, il n’est pas nécessaire de faire des études universitaires en philosophie pour comprendre cela. Un brin de bon sens suffit, mais les études que j’ai faites ont été l’occasion privilégiée de fréquenter par la lecture des modèles éminents de sagesse et elles m’ont donné des points de repère que je n’aurais pas pu découvrir autrement. Qu’est-ce que la philosophie est venue faire dans ma vie? Je réponds simplement qu’il vaut la peine de l’essayer, car elle rend la vie plus agréable.