
Jean – François De Rico Avocat
C’est par élimination que je me suis inscrit en philo. Le travail à temps plein ne me semblait pas une alternative viable à l’époque. Avec le recul, ce fut un bel imprévu.
Le cursus m’a permis de constater qu’il n’y avait pas que les maths et la physique qui présentaient un degré de complexité désarmant. Mes études en philo furent l’occasion de me frotter à des textes qui se sont révélés, selon le cas, inspirants, instructifs, ennuyants, incompréhensibles ou divertissants, et la plupart du temps formateurs pour l’esprit.
J’y ai découvert l’histoire des idées, ainsi que des auteurs que je ne connaissais jusque là que de nom. J’y ai appris la rigueur, la précision et la synthèse en écriture et dans l’expression de la pensée (ceci dit, quelques auteurs étudiés ne péchaient pas par excès de clarté). Mes études de philo se sont révélées un atout significatif pour la suite de mes études et mon travail, pour développer des argumentaires, questionner des prémisses fragiles et réfuter des conclusions fallacieuses.
J’attribue aujourd’hui à ces lectures et aux cours de philosophie une certaine polyvalence, le réflexe de considérer les enjeux dans une perspective plus large et la capacité de m’approprier des cadres conceptuels dans des sphères d’activités différentes. Tous les domaines d’étude sont sans doute formateurs et bénéfiques, mais pour moi, l’étude des théories philosophiques a grandement facilité mon apprentissage du juridique.
Ça me permet aussi de relativiser des difficultés en les comparant à l’antinomie de la raison pure. Et tout ça alors que parmi notre cohorte, je me qualifiais clairement plus comme « philozouave » (emprunt à Louis Hamelin). L’étude de la philo incite aussi à faire abstraction du réel pour théoriser sur le « devrait/pourrait être », ce qui ne devrait pas être négligé.
L’approche tout comme l’admission de « philosopherie » peuvent parfois soulever la surprise ou la moquerie, une forme de philophobie sympathique, qui traduit fréquemment une méconnaissance de la philosophie comme domaine d’étude. Espérons que la campagne « Ensemble contre la philophobie » contribuera à la démystifier.
La vérité est que, au Canada anglais et aux États-Unis, le droit est considéré comme un programme de 2e cycle, sans qu’il n’y ait de contrainte sur le programme de 1er cycle d’origine pour peu que les notes de bac soient assez belles. Ainsi, il est assez courant de voir des philosophes dans le monde juridique chez nos voisins.
Certaines universités canadiennes-anglaises et états-uniennes vont jusqu’à justifier l’existence même de leur département de philosophie en invoquant le fait que la philo sert de tremplin vers des formations plus spécialisées aux cycles supérieurs (droit, administration, et les professions de la santé dans une moindre mesure; dans le cas des professions de la santé il faut aussi compter sur une série de cours préalables)… auquel cas vous verrez nombre de gens aller en philo uniquement afin d’avoir les meilleures notes possibles pour ces programmes gradués en question, parce que ces départements-là sont tellement bonbons que c’en est ridicule. Surtout qu’on dit, là-bas, que, pour aller en droit, il faut à tout prix éviter les sciences dures (à moins d’avoir envie de pratiquer le droit de la propriété intellectuelle, et, à plus forte raison, le droit des brevets)…