janvier 18

Victor Thibaudeau   Doyen

Professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval depuis 1995 et doyen de la Faculté depuis juillet 2010, on ne peut pas dire exactement que j’ai passé ma vie dans le placard philosophique.  Mais comme l’immense majorité de mes collègues et amis dans le domaine, un jour, j’ai eu moi aussi à faire un coming out.

Ce n’est pas banal de choisir la philo. Ça ne l’a jamais été. Venir en philo pour nulle autre chose que la philo, sans aucune préoccupation pratique, juste parce que des questions vieilles comme le monde nous obsèdent ou nous excitent énormément, cela étonne ou trouble l’environnement.

J’avais pour ma part 20 ans. J’étais étudiant en génie électrique. J’abandonnais une voie garante d’avenir – financièrement au moins. Sur le coup, j’ai cru que mon père aurait un arrêt cardiaque – sérieusement. Aux yeux de plusieurs amis et collègues d’études, j’étais fou. Des oncles, tantes, cousins s’inquiétaient. À quoi peuvent bien conduire des études en philosophie et pourrons-nous même encore parler avec lui? 😉 Mon père me voyait finir sous les ponts. Ma mère, qui ne savait pas trop ce qu’était la philo mais qui avait confiance en son fils, lui chuchotait « Laisse-le faire. Il pourra toujours retourner étudier en autre chose si ça ne marche pas… »

J’ai donc fait un bac, pas riche mais pas dans la dèche non plus, quand même supporté par mes parents. J’avais un plaisir fou à étudier ce que j’étudiais – au contraire de quelques amis qui avaient choisi des domaines plus pratiques et plus assurés. Je lisais tout le temps, tâchant de rattraper les années que j’avais passé à faire des maths ou de la chimie presque trop passionnément.

À la fin du bac, j’ai très sérieusement songé à retourner aux sciences. Ça aurait alors été plutôt en bio : la philo m’avait rapproché du vivant. Mais j’étais comme un enfant tombé dans la boite de bonbons, qui n’avait pu qu’en goûter quelques-uns.  J’ai donc poursuivi à la maitrise, en philo des sciences, tentant de combiner mes deux intérêts.

Avant de passer au doctorat, j’ai encore hésité : cette fois, c’est en musique que je voulais étudier. Mais ma formation en musique était trop lacunaire et, encore une fois, il y avait quelques questions philosophiques qui s’imposaient à moi.

J’ai pris pas mal de temps à faire mon doctorat, parce que je travaillais en même temps. J’étais aussi un peu éparpillé, intéressé par trop de choses diverses et engagé dans trop de projets. Pour bien faire une chose, j’ai dû en abandonner plusieurs, et abandonner les gens avec qui je les avais développés. Pas toujours facile.

J’ai eu un seul gros regret, le jour où on a publié mon premier livre : mon père n’était plus là pour le voir ni constater que je n’avais aucune peine à me nourrir et à payer un appartement… On ne peut pas tout avoir!

Victor Thibaudeau
Baccalauréat, maîtrise et doctorat en philosophie