janvier 30

Olivier Bois   Conseiller en affaires internationales

J’ai décidé d’étudier en philosophie à un peu plus de 5 000 mètres, sur un glacier des Andes péruviennes, dans une tente minuscule. La porte de la tente donnait sur un paysage sans grand intérêt où s’étiraient des montagnes ocre et brunes.

Je me disais que ça n’avait pas de bon sens, que mes expériences de voyages ne résonnaient pas en moi, que j’avais toutes les peines du monde à les dépeindre. Je voulais être capable de saisir le monde et de le décrire, mais je restais aphone et un peu bête. J’ai vu un retour aux études comme le moyen de remédier à la situation.

Ça faisait un moment que j’avais quitté l’école et il me restait une année de cégep pour entrer à  l’université. Ce n’est pas tellement la question du travail qui me préoccupait. Je travaillais déjà, question d’avoir juste assez pour vivre et dépenser le reste de mon argent pour acheter du matériel d’escalade et faire ce qui me passionnait absolument : de la montagne.

En fait, j’entrais dans la catégorie des « raccrocheurs », au grand plaisir de mes parents qui devaient être bien heureux de ce choix somme toute un peu bizarre, mais mille fois moins fou que de mes séjours dans les Andes et les Alpes.

L’année au Cégep a vite passée. Plusieurs cours m’ont marqué : philosophie, histoire et littérature, des domaines qui permettent de voir large. La perspective d’une introspection lucide et dont on ne risquait pas de sortir indemne – à l’image de Nietzche que je lisais avidement à l’époque – avait pour moi quelque chose d’aventureux qui avait achevé de me convaincre de m’inscrire en philosophie.

C’était un drôle de « raccrochage » à vrai dire. Passer plus ou moins du statut de « bum de montagne » à celui d’étudiant rivé sur une chaise de cours, à lire ou à écouter des exposés. Ces études m’ont tout de même valu des découvertes, parmi lesquelles la philosophie allemande et de l’Antiquité (mais pas assez) et des détours aussi ! Je pense par exemple à la phénoménologie ou à ces groupes de lecture qui ont été parmi les moments les plus lumineux à l’époque que je connus sur le plan intellectuel.

Est venu le temps du travail. Philosophe patenté, fraîchement sorti de l’université, il faut se déprendre d’une foule de préjugés lorsqu’on cherche un premier emploi, surtout si on ne souhaite pas enseigner. Pour ma part, je voulais aller vers des horizons plus proches de la vie concrète. Mes études m’avaient permis d’enrichir ma manière de saisir les choses, certes, mais j’avais aussi l’impression que l’air s’était raréfié durant ces quelques années. J’avais besoin de prendre le large.

Plus facile à dire qu’à faire. Pour ma part, j’ai eu la chance de trouver du travail rapidement en communications au sein d’une équipe de gens aussi professionnels que passionnés. J’ai ensuite enchaîné boulots et contrats dans différents domaines pour être aujourd’hui conseiller en relations internationales.

La table semblait mise pour un passage simple de l’université vers le travail, censé être un soulagement dans les circonstances. À l’inverse, j’ai plutôt ruminé mon passage en philosophie. Je me sentais drôlement outillé : assez correctement sur le plan de la réflexion et des concepts, mais vraiment mal pour ce qui était des contenus. Pour combler ce manque, mes temps libres sont devenus le théâtre d’un immense rattrapage au plan culturel (politique, histoire, littérature, cinéma). Rattrapage qui, aujourd’hui encore, ne me semble toujours pas terminé.

Jean-François Billeter dans ses Leçons sur Tchouang-Tseu  dit d’un philosophe qu’il est « un homme qui pense par lui-même, en prenant pour objet de sa pensée l’expérience qu’il a de lui-même, des autres, et du monde; qui s’informe de ce que pensent ou qu’ont pensé avec lui les autres […]. »

J’aime cette définition très nette de ce qu’est la philosophie.

Si je ne pense pas être devenu philosophe au sens où Billeter l’entend, cette définition fait office pour moi d’horizon. Avec le recul, je constate que mes études en philosophie m’ont donné un langage pour parler de cette expérience de moi-même et d’entamer une réflexion sur ce que d’autres avaient pensé bien avant nous et bien avant moi.

Par un retour de balancier, j’ai fini par m’intéresser aux penseurs et aux écrivains du Québec. Comme si mon parcours en philosophie avait initié en moi un mouvement : de l’ancien au nouveau, du lointain vers le plus proche, de soi vers les autres, du général au plus concret.

 

Olivier Bois
Baccalauréat en philosophie