mars 26

Michel Sasseville  Professeur de philosophie

J’ai 4 ans. Je suis à l’église avec mes parents. Le curé, pendant son sermon, utilise le mot «mystère». Je demande à ma mère : «maman, c’est quoi un mystère ?». Elle me répond : «C’est quelque chose que tu ne comprendras jamais !» Fin de la discussion. Me voilà effondré. Comment est-ce possible que je ne puisse pas tout comprendre. Bien sûr, je suis jeune encore. Je ne comprends pas tout. Mais le temps ne suffira pas ? Il y a vraiment des choses que je ne comprendrai jamais ? Je me sens si triste.

J’ai 20 ans. Je suis à l’université en psychologie. Je veux comprendre pourquoi on ne peut pas tout comprendre. Mais les cours que je suis n’abordent pas la question. Il y a des stimuli et des réponses, entre les deux, c’est la boîte noire, invisible. Et pas question qu’on ouvre cette boîte. Pour cela, il faudrait imaginer, concevoir. Je me tourne alors vers la philosophie. Il faut que j’en parle à mes parents. Ils me voient si bien en psychologie, en médecine aussi. Tu auras un emploi. Mais en philo, hummm…. Pas sûr ! Mais la question demeure : pourquoi je ne peux pas tout comprendre ? Allez hop, un détour en philo pour quelques mois… on verra bien. Et les mois passent, même les années…

J’ai 22 ans. J’entre dans un cours de philosophie du langage. Enfin, la question est posée. Ma question ! Bien plus, une base d’observation fascinante se présente : le langage. Je laisse tomber la psychologie et je fonce les yeux grands ouverts (ceux de mon visage comme ceux de mon esprit) pour découvrir des éléments de réponse. Et je vois que la logique pourrait m’aider.

J’ai 23 ans. Je suis chargé de cours dans un cours d’introduction à la logique. Je suis fasciné par le nombre de personnes qui, sans être obligées, prennent le cours (autour de 400 par session). Je me dis : cela devrait être acquis bien avant l’université. Mais comment faire ?

J’ai 27 ans. Je découvre les travaux de Matthew Lipman qui a pris le temps de redessiner la présentation de la philosophie afin que les enfants, très tôt, y trouvent un intérêt et apprennent grâce à sa pratique à penser par et pour eux-mêmes.

J’ai 56 ans. Je suis professeur à la Faculté de philosophie à l’Université Laval. Mon domaine de recherche : la philosophie pour les enfants. Je comprends que je ne comprendrai jamais tout entièrement. Mais je comprends aussi que même si je ne comprends pas tout, je comprends certaines choses. Et je vois aussi, après toutes ces années en philosophie pour les enfants que, même à 4 ans, on peut se poser des questions profondes – que le manque d’expérience n’enlève rien à l’intensité de cette dernière – et qu’il importe d’en tenir compte, de pouvoir en discuter afin que l’expérience de vivre ait plus de sens. Peu importe l’âge.

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Michel Sasseville
Baccalauréat, maîtrise et doctorat en philosophie