novembre 14

Pierre-Olivier Méthot Professeur adjoint de philosophie

« C’est exact, Madame, je ne pourrai pas me présenter aux tests d’entrée de l’École Nationale de Police du Québec à cette date, car j’ai un examen sur Kant ».

Long silence au bout de la ligne…

« Bien, Monsieur Méthot, rappelez-nous si jamais vous changez d’avis… »

Le stage à l’ENPQ est le dernier segment de la formation d’un futur policier.

Lorsque j’ai annoncé à mes parents mon intention d’abandonner une carrière sur le point de commencer pour des études de philosophie, ils ont eu des réactions différentes mais complémentaires : « De toute façon, ça ne te ressemblait pas ce métier-là », disait ma mère, très heureuse, au fond, de ce revirement. Pour mon père, le problème n’était pas tant que j’explore une autre voie – il a attrapé ce que j’appelai gentiment le « syndrome des portes ouvertes » dès mon entrée au secondaire – mais que je tourne le dos à une sécurité d’emploi devenue (trop) rare de nos jours.

Les motivations qui ont conduit à cette « réorientation » – le mot est faible – demeurent encore aujourd’hui imprécises dans mon esprit. Se pouvait-il que les (5 !) cours de philosophie de mon premier diplôme collégial (Histoire et civilisations) fussent en train de me rattraper? Le voyage culturel en Italie réalisé l’été précédent avait-il influencé mon désir de renouer avec les sciences humaines? Possiblement. Tout au plus, j’étais vaguement conscient qu’en me confrontant à la Critique de la raison pure, plutôt qu’aux épreuves de l’ENPQ, cette décision risquait d’avoir des répercussions sur la vie que j’étais en train de choisir, du haut de mes vingt-et-un ans.

Pourtant, après une année de baccalauréat en philosophie, si j’appréciais la pensée critique et l’étude des concepts, tout cela me semblait parfois bien loin de la « réalité » du monde. En travaillant à temps partiel comme agent de sécurité, je jonglais (secrètement mais sérieusement) avec la possibilité de bifurquer une fois de plus, cette fois vers les sciences de la vie pour lesquelles je développais un intérêt grandissant. Comme il ne me restait toutefois qu’un semestre à compléter avant de pouvoir réaliser un échange universitaire, je me suis accroché et c’est ainsi que je suis parti, l’année suivante, pour l’Université Toulouse le Mirail…

Durant cette année extraordinaire, j’ai eu la chance de voir du pays mais aussi de suivre un cours passionnant intitulé « Épistémologie de l’espace et du temps », qui m’a donné l’occasion d’explorer le rôle complexe de Descartes dans l’histoire de la biologie; de méditer les réflexions de Kant sur l’apparente finalité des « êtres organisés »; de sonder la portée épistémologique de la théorie de l’évolution; en plus de découvrir les écrits du philosophe et historien des sciences Georges Canguilhem sur « la connaissance de la vie ». Ultimement, ce cours m’a permis de mieux comprendre pourquoi les sciences du vivant constituent un objet d’étude légitime, voire privilégié, pour la philosophie.

À mon retour, j’entrepris de compléter mon premier cycle, de m’inscrire comme étudiant libre en sciences biologiques et de débuter une maitrise avec l’ambition de rédiger un mémoire en philosophie de la biologie. J’avais enfin trouvé une façon de faire vivre ensemble mes intérêts pour l’étude du monde vivant, la philosophie et l’enquête historique! Qui plus est, je réalisais peu à peu que le travail philosophique est une activité non pas solitaire mais collective, sociale et interdisciplinaire. Cette initiation à la recherche m’a révélé, pour reprendre l’expression de François Jacob, un vaste « champ des possibles », jusque là inconnu, que je continue d’explorer avidement.

Depuis juillet 2013, je suis professeur adjoint à la Faculté de philosophie de l’Université Laval où j’enseigne la philosophie et l’histoire des sciences.

Même si le chemin fut tout sauf tracé d’avance, je n’ai jamais regretté d’avoir choisi l’examen sur Kant.

Pierre-Olivier Méthot
Baccalauréat, maîtrise et doctorat en philosophie