
Jean Laberge Enseignant de philosophie
Je suis né dans une famille ouvrière, et je suis le seul parmi cinq enfants qui ait fait des études supérieures. Je ne me suis jamais vraiment posé la question quant à ce que je devais faire plus tard dans la vie.
La philosophie s’est imposée à moi très tôt. Déjà au secondaire, je m’intéressais à René Descartes (1596-1650) (sans cependant comprendre un traitre mot de ce que je lisais!). Dans l’Encyclopédie universelle Grolier, que mes parents avaient achetée, je lisais avec ravissement les tableaux détaillant les principales idées des grands philosophes.
D’aussi loin que je me souvienne, la question du sens m’a toujours taraudé. À cet égard, la question de Leibniz m’apparaît comme la plus philosophique qui n’ait jamais été posée: « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien? » Une question toute simple et pourtant si profonde!
J’ai par ailleurs un besoin viscéral de penser clairement et rigoureusement. Après des études en philosophie au cégep du Vieux Montréal (eh oui!, j’y suis à présent prof de philo après y avoir été élève), ma rencontre avec la philosophie analytique anglo-saxonne fut à cet égard une véritable révélation, et c’est ce que j’ai d’ailleurs étudiée en priorité à l’université. Mon philosophe préféré fut Ludwig Wittgenstein (1889-1951), sur lequel j’ai écrit un mémoire de maîtrise à l’Université du Québec à Montréal, « La notion de grammaire ». J’ai obtenu mon diplôme de maîtrise en 1982.
Suite à une rupture amoureuse, j’ai quitté les études, alors que j’étais chargé de cours en philosophie à l’Université du Québec à Montréal. J’avais entrepris un doctorat en philosophie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
C’est alors que j’ai redécouvert la foi. Pendant cinq ans j’ai coupé tous les ponts avec la philosophie. J’y suis revenu par le biais du programme de Philosophie pour enfants de Matthew Lipman et Ann-Margaret Sharp. J’ai animé des « communauté de recherche » dans des classes de primaire et secondaire du Québec, dans la région métropolitaine, et j’ai suivi une formation en Philosophie pour enfants à Mendham au New Jersey en 1990. Je suis même devenu enseignant dans une école primaire de Lafontaine, près de Saint-Jérôme, l’école Sacré-Cœur.
En 1994, je fus engagé au département de philosophie du collège du Vieux Montréal. En 2014, il y aura donc vingt ans que je suis professeur de philosophie à ce cégep. Ce furent des années extrêmement enrichissantes et épanouissantes. Je suis un enseignant dans l’âme. Mais aussi un écrivain.
Mon premier essai, En quête de sens (Logiques, 2008), témoigne de mon intérêt envers les pyrrhoniens. Mon second essai, Plaidoyer pour une morale du bien (Liber 2011), est le fruit de mon intérêt porté pour ce géant de la philosophie ancienne, Aristote. En tant que philosophe catholique, Aristote est un passage obligé. Le petit guide méthodologique que j’ai publié la même année chez ERPI, Apprendre à philosopher, s’inspirant largement d’Aristote. Ce guide s’adresse aux professeurs ainsi qu’aux étudiants du premier cours de philosophie au collégial.
Mon dernier livre, Le devoir à l’éducation. Un prof de philo contre le carré rouge (Accent Grave, 2012), est ma contribution dans le désormais célèbre conflit étudiant du printemps 2012. J’y défends le carré vert qu’on a injustement démonisé. Je montre qu’on peut être un partisan du carré vert et avoir la philosophie de son côté.
J’aurais beaucoup à dire sur ma foi de catholique tout en étant philosophe. Mais je réserve le tout pour les années avenir. Comme l’écrit Brian Leftow, « Je suis philosophe parce que je suis chrétien. »[1]Dans notre culture rationaliste occidentale, héritière des Lumières, foncièrement antireligieuse, il n’est pas aisé d’être chrétien et philosophe à la fois.
(Pour ceux et celles qui veulent me lire, consultez mon blogue à www.enquetedesensjl.blogspot.ca)
Personnellement, je ne crois pas qu’on puisse être catholique et philosophe.
Derrida, à qui on avait posé la question à savoir s’il croyait enb Dieu, répondit qu’en tant que philosophe il était de son devoir de dire que non.
Faux, M. Doyon. Je dirais même que beaucoup de grands philosophes étaient des Chrétiens, tels St-Augustin d’Hippone, ou Thomas d’Aquin, par exemple. Même John Locke était chrétien.
Je sais très bien que saint Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin étaient philosophes et chrétiens, mais c’était à une époque où l’explication divine de l’origine de l’univers apparaissait la plus rationnelle. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. être et catholique et se dire philosophe aujourd’hui, c’est comme se dire médecin et ne pas croire à la circulation sanguine.
Parce que je ne souscris à votre naturalisme, vous foulez aux pied le droit d’être ce que je suis.
Soutenez-vous que Charles Taylor n’est pas philosophe puisqu’il est catholique?!
Le seul qui vous convient, monsieur Doyon, c’est « Inspecteur Javert » car vous êtes constamment à me dénigrer, voire à m’intimider. Comme chrétien, toutefois, je prie pour vous en priorité.
Un vrai philosophe peut-il sérieusement croire qu’une vierge puisse enfanter et qu’un cadavre puisse ressusciter après trois jours?
Le naturalisme, c’est la position par défaut. C’est la position facile.
Monsieur Laberge, je vous interdis formellement et catégoriquement de prier pour moi.
Être chrétien, monsieur Doyon, c’est en tout cas ne pas adhérer à la philosophie à laquelle vous, comme bien d’autres de mes collègues, vous adhérez, c’est-à-dire au naturalisme.
On peux pas être philosophe aujourd’hui et croire qu’un cadavre peut ressusciter après trois jours. La résurrection des morts est un dogme catholique. Être catholique implique de croire ça. Je vous crois trop intelligent pour être vraiment catholique.
De mon côté, je vous sais trop intelligent pour ne croire qu’au naturalisme.
Là -dessus nous sommes bien d’accord, car je ne suis pas naturaliste, ni catholique.
Désolé, monsieur Doyon, vous êtes partisan du naturalisme puisque vous n’admettez rien de surnaturelle ou de transcendant. Ne cherchez pas à vous défilez car vous êtes bien un héritier des Lumières.
Le catholicisme n’est pas la seule métaphysique.
Monsieur Laberge, vos propos sont troublants, je pense personnellement que d’être à la fois religieux et se prétendre philosophe est produire un oxymore. Mais, puisque vous entrez en discussion avec M. Doyon, pourriez vous vous expliquer pour ce qui est des deux cas – flagrants – de plagiat dont il vous a accusé lors de la parution d’un de vos ouvrages.
Songez un peu à Charles Taylor, qu’on estime avec quelques bonnes raisons d’être actuellement le plus grand philosophe québécois et canadien. M. Taylor est catholique comme moi. Il serait aberrant de nous retirer le titre de philosophe parce que nous serions catholiques. Si vous persistez à le penser, je dirai simplement que la propagande de Lumières a parfaitement réussi. Quant à M. Doyon, passons, si voulez bien, à autre chose de plus sérieux. Commençons donc à penser un peu plus.
Jean,
Premièrement c’est très sérieux, dans le milieu académique, la question du plagiat, tu devrais avoir l’honnêteté de répondre à cette accusation de M. Doyon et ne pas lancer un « pensons plus fort » qui n’est qu’une échappatoire. Je répète : s’il a raison, c’est très grave ce que tu as fait. Étudiant, tu serais expulsé, en tant que philosophe professionnel, il y a maintenant, que cela soit juste ou non, un doute qui plane sur TOUT ce que tu as écrit.
Deuzio: le philosophe le plus grand, le plus beau, le plus fin, on s’en fout. Pour un amateur de philosophie française, ça pourrait être BHL (il y a un chroniqueur, au Devoir, qui ne jure que par lui), de philo allemande, Heidegger, à moins qu’on soit plutôt politiquement enclin mais quand même germanophile, alors Habermas?; si c’est de la philo analytique américaine, Quine peut-être?, bref il y a toujours quelqu’un. Tu connais sans doute tous ces gens-là beaucoup mieux que moi, mais tu devrais reconnaître que c’est un argument d’autorité que tu nous sors là. (Comme je l’ai sans doute fait moi-même, d’ailleurs, en mentionnant Derrida…)
Troisièmement, en réunissant à la fois une croyance dans l’élite pour ce qui est des conditions d’accès à l’éducation (si j’ai bien compris…), du capitalisme pour ce qui est de la politique, et de la religion chrétienne pour ce qui est de l’ontologie, j’espère que tu te rends compte que tu te rapproches drôlement – sauf que ce n’est pas drôle du tout – de la pensée fasciste.
Puis-je vous dire, cher collègue, que je n’ai marre de ce genre de propos religiophobes? Vivement un site qui lutte contre la religiophobie.
J’ai toujours eu l’impression que la foi n’empêche pas d’être philosophe, mais que les deux sont deux facettes différentes d’une personne. La foi est quelque chose de personnel et transcendental, alors que la philosophie est d’une nature plus pragmatique et tend à généraliser des cas divers.
Disons que je ne suis pas vraiment croyant, je dois l’admettre, mais que la foi pose un défi au philosophe que le naturalisme ne permet pas. Dans un sens, un philosophe naturaliste n’est rien de moins qu’un scientifique des sciences humaines qui essaie de comprendre le monde dans lequel on vit. En ce sens, il n’est pas différent du sociologue, du politologue ou de l’anthropologue.
Or, il existe des religions plus basées sur la philosophie pure que sur les dogmes, majoritairement en Extrême-Orient, comme le bouddhisme ou le taoïsme. Par contre, on les a longtemps critiquées comme étant du naturalisme déguisé en foi. D’où la question de l’importance du dogme.
Aussi con que cela puisse paraître, même un philosophe naturaliste devra se pencher sur la question du dogme, puisque la religion demeure une part importante de la vie des gens ordinaires, et à regarder l’attitude des personnes, le dogme demeure primordial avant n’importe quel message que la religion tente d’envoyer à la société. Combien de fois ai-je entendu par des croyants catholiques que le message de Jésus était trop pacifiste, loser, gauchiste même? Beaucoup. Et combien de fois ai-je entendu un catholique nier les dogmes (les anges, l’Immaculée Conception, la résurrection) dans leur sens réel et littéral? JAMAIS. (À l’exception de l’Abbé Gravel qui ne niait pas les dogmes, mais affirmait qu’il fallait avant tout leur donner un sens philosophique et spirituel plutôt que réel et absolu) Bref, le dogme est plus important et marquant que le reste, et il nous aide à comprendre comment le Québécois lambda réfléchit face aux différents enjeux qui se présentent à lui.
Nier le fait religieux, c’est nier le passé, le présent et l’avenir. N’importe quel philosophe aristotélicien ne peut le nier. Or, les platoniciens qui tendent à élaborer des théories utopistes à partir de pure logique sont souvent des naturalistes qui rejettent toute contingence extérieure à leur modèle et une fois mis à l’épreuve dans la réalité, ils se rendent compte que cela ne fonctionne pas, malgré toute l’énergie qu’ils déploient à vouloir faire reconnaître leurs idées.
Et je répète que je ne suis pas un croyant, même si j’essaie récemment de chercher un sens spirituel par l’étude philosophique des religions…
Merci M. Drouin d’apporter quelque chose d’intelligent dans un débat qui s’enlisait et devenait stérile et non respectueux. Au départ, il s’agissait d’un témoignage de vie, les choix de chacun et chacune ne nous regardent pas, mais les idées qui en découlent, nous pouvons en discuter. C’est la différence entre un regard critique et un procès d’intention.
Personnellement, je suis plus porté sur la science que sur la foi, sur les fonctions des dogmes par exemple, en terme d’anthropologie sociale, que sur leur symbolique. Des croyants ont fortement contribué à l’évolution de la pensée, comme Kant qui a ouvert un vaste champ épistémologique ou plus récemment Ivan Illich qui nous a permis de réfléchir tout autrement aux dérives de la modernité en proposant de comparer les grands systèmes organisés à des outils. Les deux ont proposé des méthodes utiles pour les croyants autant que pour les incroyants!
Je suis athée tendance existentialiste et totalement opposé également au naturalisme. Je crois que l’homme EST la nature et non un être pensant qui a fonction d’intendance de l’oeuvre divine, alors que le naturalisme situe la pensée au-dessus de la nature de l’homme. C’est une erreur d’appréciation: la culture est une résultante de notre rapport avec l’environnement. Ce sont deux compléments d’un tout qu’il nous reste à nommer mais qui n’a rien à voir avec Dieu. Le grand TOUT des premières nations, que les chrétiens ont appelé grand Manitou pour le conformer à leur image du monde, n’avait rien à voir avec une entité qui se situerait en dehors du monde réel. Il était la pensée des humains autant que de tout ce qu’ils percevaient autour d’eux. Cette ontologie a permis d’habiter un territoire en toute pérennité, ce que la pensée occidentale n’arrivera jamais à faire sans détruire en vue de transformer. Le rapport nature-culture est en rupture de sens depuis quelques siècles déjà, une rupture qui s’accélère et nous mènera éventuellement à l’autodestruction, à moins que nous ne trouvions le moyen de réunifier les deux.
Alors le débat entre la croyance ou l’athéisme me semble bien dérisoire. Il ne nous permettra sûrement pas de corriger la mécanique de l’autodestruction annoncée, mais pas inévitable.
Comme disait Heidegger, la philosophie ce n’est pas l’amour de la sagesse, mais la sagesse de l’amour. Or, Dieu est amour. Donc, la philosophie consiste à aimer l’Amour, c-à-d Dieu.
M. Laberge, pourriez-vous préciser où Heidegger affirme cela? Cette idée m’intéresse beaucoup. Merci!
Je ne suis pas un spécialiste de Martin Heidegger. Je ne sais donc pas où Heidegger dit que la philosophie c’est la sagesse de l’amour. En tout cas, je l’assume totalement.
Je vois deux problèmes dans votre raisonnement. 1) Argument d’autorité: Ce n’est pas parce que Heidegger à dit quelque chose que c’est nécessairement vrai. 2) Amour et Dieu ne sont pas nécessairement la même chose, à moins de réduire Dieu à une émotion. N’est-ce pas bizarre quand on se souvient de Sodome et Gomorrhe?
Je vois deux problèmes de votre critique, monsieur Doyon. 1) J’assume, comme je l’écrivais précédemment, la citation attribuée à Heidegger. J’aurais pu également en appeler à saint Paul mais vous m’auriez accusé de parti pris ou que l’apôtre n’est pas un philosophe. 2) L’amour n’est pas qu’une pure émotion, car elle possède une dimension cognitive; d’ailleurs, on dit que l’amour est sagesse, c-à-d que l’amour implique un certain type de savoir.
Saint Paul dit lui même qu’il ne faut pas écouter les philosophes, il en est donc sûrement pas un. Mais qui est ce « on » qui dit que l’amour est sagesse? Et où le dit-il? Merci de m’éclairer, cher Monsieur Laberge.
Vous faites une lecture «fondamentaliste», monsieur Doyen, du Nouveau Testament. Saint Paul ne condamne pas tous les philosophes et toutes les philosophies, à toutes les époques, mais seulement des philosophes platoniciens, voire stoïciens et épicuriens qui avaient pignon sur rue à l’époque et qui ne tenaient pas compte de l’enseignement de Jésus-Christ.
Pour ce qui est du fameux «on dit», je vous renvoie à Saint Paul ainsi qu’à Heidegger. Mais vous n’acceptez ni l’un ni l’autre…
Je ne refuse pas Heidegger: ma thèse de doctorat porte sur son plus grand disciple, Hans-Georg Gadamer et j’ai publié plus d’un article sur l’auteur de Sein und Zeit. Je peux vous donner les références si cela vous intéresse.
Si vous doutez de mon attachement pour la pensée de Heidegger: http://www.youtube.com/watch?v=Dv64pMha0zk
J’aime bien les citations croustillantes de Voltaire, dont la suivante (tirée d’un poème du comte de Rochester) : « L’amour, dans un pays d’athées, ferait adorer la Divinité.» (Dictionnaire philosophique, «Amour»). Pour un anticléraliste comme Voltaire, c’est tout un désaveu!
@FDoyon. J’ai trouvé la citation où Heidegger dit que la philosophie n’est pas l’amour de la sagesse, mais la sagesse de l’amour : lettre à H. Arendt du 24 avril 1925.
Jean Laberge
« Tu ne peux pas être philosophe, parce que tu es chrétien. Un philosophe, au départ, ne sait pas du tout ce qu’il sera, tandis que toi [Jean Guitton], du moment que tu est ‘philosophe chrétien’, quand tu parles en tant que philosophe, tu parles en tant que chrétien, donc tu es un faux philosophe, tu n’est pas un vrai philosophe. » – Jean Guitton parlant de lui-même. Voilà le genre de remarque qu’on passe souvent sur moi.