Le courage des étudiant(e)s en sciences sociales

PRÉSENTATION

Dans cette chronique, il n’est pas uniquement question de la philosophie, mais de toutes les sciences dites « molles ». Cependant, les propos contenus dans l’article s’inscrivent parfaitement dans l’esprit de notre campagne. L’auteur souligne le courage des étudiant(e)s qui s’inscrivent en sciences sociales et estime que ceux et celles qui les condamnent font preuve ou bien d’ignorance, ou bien de mauvaise foi.

Avez-vous aussi l’impression que l’ensemble des « sciences molles » est victime de préjugés, particulièrement depuis 2012? Si oui, pour quelles raisons? Malgré la cause que nous avons à coeur, doit-on reconnaître que certains de ces jugements sont vrais?

Lisez l’article ci-dessous et, si vous le désirez, laissez vos commentaire en bas de la page!

 

Article

ÉLOGE DES SCIENCES MOLLES

De tous les étudiants qui retrouvent le chemin des classes ces jours-ci, les plus méritants sont ceux qui ont osé s’inscrire en sciences sociales. À l’université comme au cégep, ces beaux fous ont fait fi des perspectives d’emploi aléatoires, des dangers que comporte une trop grande lucidité et de l’image sulfureuse qu’on accole à ces disciplines que certains qualifient de sciences molles.

Leurs aînés connaissent cette réalité, du moins certaines de ses dimensions. C’est ainsi que l’auteur de ces lignes, qui a fait deux ans en sociologie à l’Université Laval, garde un souvenir limpide d’une rencontre avec un employé du gouvernement provincial qui oeuvrait dans cette discipline.

Embauché pendant la Révolution tranquille, quand l’État rattrapait le temps perdu en investissant sans compter, cet homme avait confié à la cohorte de 1977 que tous les besoins étaient comblés. Puisqu’il était jeune, on avait compris qu’il faudrait attendre que sa gang atteigne l’âge de la retraite pour que des postes se libèrent.

L’accès de lucidité, lui, résulte d’une trop grande proximité avec des textes séditieux, tels ceux de Karl Marx, Ivan Illich ou Machiavel. Comment croire aux mérites du capitalisme, par exemple, quand on réalise à quel point les dés sont pipés contre le travailleur ordinaire? Les solutions avancées par Marx faisaient problème, mais pas son diagnostic, qui reste cruellement actuel.

Une planque à paresseux

Ce qui est plus récent, c’est le mépris que certains affichent à l’égard des sciences sociales. La sociologie, l’anthropologie et les sciences politiques ayant constitué le fer de lance du mouvement étudiant, il y a deux printemps, des voix se sont élevées contre ces disciplines.

Combien de commentateurs, aveuglés par leur détestation des carrés rouges, ont utilisé l’expression sciences molles pour les marginaliser? Combien ont cultivé l’impression que ces étudiants avaient abouti dans une planque à paresseux, un Club Med académique, les palmiers en moins?

C’est comme si le fantôme de Maurice Duplessis était réapparu, comme au temps où il menait une guérilla contre le Père Georges-Henri Lévesque, ce Robervalois qui a fondé la faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Il n’y a pas juste les cupcakes qui sont revenus à la mode…

Même le premier ministre Stephen Harper a ajouté son grain de sel en prenant pour cible Justin Trudeau, il y a quelques mois. «Ce n’est pas le moment de faire de la sociologie», a déclaré cet excellent homme, pour qui il est anathème de vouloir établir quelles sont les causes profondes du terrorisme.

Sa cohérence idéologique est impressionnante, cependant. Comme l’a relevé le sociologue Robert Brym, de l’Université de Toronto, c’est son gouvernement qui a mis fin au recensement obligatoire, rendant caduc le questionnaire long qui constituait une source précieuse de renseignements sur ce pays. C’est logique: moins la source d’un problème sera connue, moins on pourra le blâmer.

Génétique et abandon

Il n’est pas difficile, pourtant, de répondre aux détracteurs des sciences sociales. Ceux qui les croient inutiles font preuve de mauvaise foi ou d’ignorance, puisque les retombées positives, aussi imparables qu’un ours dans une Yaris, affectent la vie de milliers de personnes.

Juste ici, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, on peut mentionner le fichier BALSAC, constitué sous l’impulsion du professeur Gérard Bouchard. Recoupant un large éventail de données sur la population, cet outil avait pour but de mieux connaître l’histoire sociale de la région. Pas besoin de rappeler le profit qu’en ont tiré les chercheurs en génétique et plein de gens ordinaires.

Un autre exemple qui a fait école se rapporte au Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire. Depuis sa fondation en 1996, il a mené des études de nature sociologique afin de déterminer, entre autres, dans quelles communautés le phénomène de l’abandon est plus présent.

Il fallait que ces travaux soient crédibles pour mobiliser les corps publics et le secteur privé. Ensemble, ils ont créé des conditions plus favorables à la réussite scolaire, ce dont bénéficient plein de gens qui, autrement, auraient quitté l’école prématurément. Peut-être que dans le lot, il se trouve des étudiants inscrits en sciences sociales. Ce serait un juste retour des choses.

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(Auteur : Daniel Côté (La Presse). Original : http://www.lapresse.ca/le-quotidien/opinions/daniel-cote/201308/25/01-4683017-eloge-des-sciences-molles.php )

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