octobre 22

Jean Bouchard   Traducteur

Plutôt amusante, cette idée de demander à ceux qui ont fait des études en philosophie de « sortir du placard » et de claironner à qui veut l’entendre que oui, ils ont eu cette « faiblesse » étant jeunes.

Dans mon cas, il s’agit en effet bel et bien d’une faiblesse. À l’époque on disait même que c’était un péché capital : celui de la gourmandise.

Tout a commencé au cégep. Inscrit en sciences humaines, je choisis mes cours plus ou moins au hasard. En psycho, la bataille entre les behavioristes et les freudiens me passionne. Je finis par préférer socio et science po parce que c’est moins centré sur l’individu. Je découvre la linguistique de Ferdinand de Saussure, quelqu’un qui établit que la langue, c’est un système… Mais au bout de deux ans, c’est fini. J’ai complété tous mes crédits.

Bon, le directeur des services pédagogiques s’arrache les cheveux pour essayer de caser tous les cours que j’ai choisis dans quelque chose qui ressemble à un profil, une concentration, puis me demande : « Tu veux étudier quoi, l’année prochaine, à l’université? »

– « Ben, tout ça, j’ai fait que commencer! »

– « Ah, mais c’est qu’à l’université, c’est pas un buffet chinois comme ici, là, va vraiment falloir que tu choisisses, si tu choisis socio, tu fais un bac en socio et tu deviens sociologue, tu liras Freud dans tes temps libres! »

– « Y a pas d’autre solution? »

– « Oui, tu peux t’inscrire en philosophie! »

Bof, moi, les grandes questions métaphysiques comme « Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien? », ça faisait déjà longtemps que j’avais réglé ça. Le Néant? Par définition, il n’existe pas. S’il existe pas, on peut pas en parler, y penser. Le faire serait le faire exister. Exit « To be or not to be », exit la métaphysique.

– « Mais la philosophie, ça se limite pas à la métaphysique, tu pourras choisir une concentration en épistémologie » me répond le dsp. « Et en épistémologie (théorie de la connaissance, philosophie des sciences), tu vas forcément revisiter
Marx, Freud, De Saussure, Lévi-strauss, Durkheim, Skinner, Piaget, et bien d’autres! »

C’est ainsi que je me suis inscrit en philo et que j’ai pu satisfaire tout mon saoul à ma gourmandise!

Quoi que, trente ans plus tard, je suis toujours aussi gourmand, je n’ai jamais trouvé le moyen de me rassasier. Mais peu après mes études en philo, j’ai trouvé un autre moyen d’assouvir ma soif de connaissance : je me suis fait traducteur. « Tiens, un texte qui parle de law et d’equity? Comment on dit ça en français? »

Pour trouver la réponse, on lit des pages et des pages de textes juridiques, et sans jamais devenir avocat, on apprend un peu le droit. Idem pour les textes qui parlent de finance, de médecine, etc.

Jean Bouchard
Baccalauréat en philosophie